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La mort d’Henri Causse, pilier des Editions de Minuit

Avec la disparition d’Henri Causse, ancien directeur commercial des Editions de Minuit, mort le 12 juillet, à Paris, à l’âge de 84 ans, c’est une certaine conception de la librairie imaginée comme un métier de résistant qui s’en va. Résistance à la domination des grands groupes, aux chaînes de librairie comme aux concentrations qui dénaturent le métier d’éditeur et surtout résistance à l’uniformité qui stérilise la pensée.
Venus au monde à Martel (Lot) dans une famille de notaires, Henri Causse (né le 28 septembre 1939) et sa sœur aînée Michèle (1936-2010), traductrice de renom mais aussi féministe et militante LGBT, semblent avoir voulu faire un pied de nez au déterminisme qui aurait dû les pousser vers un destin de petits-bourgeois conservateurs.
Après l’obtention d’un baccalauréat et des études de droit vite abandonnées, Henri Causse a fait partie de ces 12 000 soldats déserteurs, insoumis ou objecteurs de conscience (1 % du contingent, selon l’historien Tramor Quemeneur), qui ont refusé de porter les armes contre le peuple algérien. L’appel de sa classe (1959 2/B) le conduisit à passer en Suisse, où il rejoignit le mouvement Jeune Résistance fondé par des proches de Francis Jeanson et d’Henri Curiel. Animateur de ce groupe en Belgique, il est l’un des trois insoumis choisis pour se livrer aux autorités françaises, peu après des accords d’Evian de 1962, afin d’obliger le gouvernement à les inclure dans la loi d’amnistie. Longtemps après cet épisode, il racontera son passage à la gare de l’Est, encadré par deux gendarmes, sous les crachats de passants haineux.
C’est au lendemain de sa libération qu’il devait rencontrer Jérôme Lindon (1925-2001), résistant de la seconde guerre mondiale et proche de la sensibilité de son cadet. La cristallisation fut immédiate et, désormais, quand on pensait aux Editions de Minuit, on voyait surgir ces deux êtres inséparables, Jérôme Lindon et Henri Causse, tous les deux symboles de la discrétion, de l’élégance et du raffinement.
Entré en 1964 aux Editions de Minuit, rue Bernard-Palissy, à Paris, Henri Causse en sera un des piliers pendant six décennies, recevant dans son bureau du deuxième étage non seulement les libraires, mais les auteurs et les amis des amis. Devenu l’alter ego de Jérôme Lindon, il le seconda et fut à ses côtés dans les grandes heures de l’histoire de la librairie française dans la deuxième moitié du XXe siècle. De la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre à L’Œil de la lettre, un groupement de libraires apparu en 1986, puis à l’Association pour le développement de la librairie de création (Adelc), lancée en 1988, il fut de tous les combats pour que vive ou survive le secteur.
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